De la Pâque juive à la Pâques chrétienne

« Si le Christ n’est pas ressuscité, vide est notre foi », écrivait Paul aux Corinthiens avec passion. La fête de Pâques représente pour nous, chrétiens, le socle et le sommet de la célébration de notre foi. Pâques est la solennité de toutes les solennités. Elle est une fête de lumière, puisque ce jour-là la lumière a jailli du tombeau. Elle est une fête de musique et de joie portée par le son des cloches, puisque ce jour-là le silence de la mort a été… réduit au silence ! « Le Christ est ressuscité », crient les uns. « Il est vraiment ressuscité », répondent les autres. « Alléluia ! » Peut-être sommes-nous trop blasés voire lassés par ce cri de joie qui retentit chaque année ? Pour en redécouvrir la profondeur et la centralité, nous vous proposons un parcours biblique qui conduit de la Pâque juive à la Pâques chrétienne. Par Emanuelle Pastore.

Que fêtent vraiment les chrétiens le jour de Pâques, s’ils ne fêtent… Jésus lui-même ? Oui, car notre Pâques, c’est Jésus. Il est notre Pâques immolée, dit saint Paul (cf. 1 Co 5, 7). Pâques évoque d’une part le sacrifice de Jésus sur la croix – « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » (Jn 15, 13) – et d’autre part sa Résurrection. Mystère de mort et de vie qui nous touche tout particulièrement parce que s’il est ressuscité, ce n’est pas pour lui-même (il n’en avait nullement besoin), mais pour nous ! Cette conviction nous habite – ou devrait nous habiter – dès maintenant. Il n’est nullement besoin d’attendre d’être mort pour se sentir concerné par la Résurrection. Déjà, nous sommes ressuscités avec lui, répète inlassablement le Nouveau Testament ! Il nous a fait revivre avec lui (cf. Col 2, 12-13) ! C’est là toute l’espérance chrétienne. On ne vit pas de la même manière lorsqu’on sait que l’on est déjà ressuscité, c’est-à-dire lorsqu’on sait que la vie éternelle est déjà commencée ici-bas, par la foi en Jésus-Christ. Cela veut dire que la Résurrection n’est ni un événement passé, ni un fait à venir, mais une réalité rendue sans cesse actuelle. Pour le découvrir, commençons notre parcours biblique.

 

La Pâque juive – mémorial de la délivrance d’Egypte

La Pâques du Christ s’éclaire à la lumière d’une autre Pâque qui l’a précédée, la Pâque juive. Qu’est donc la Pâque juive ? Dans l’Ancien Testament Dieu se révèle comme le « Dieu libérateur ». Sa fidélité est célébrée, car il a libéré son peuple de l’esclavage en Égypte. Cet « exode » ou cette « sortie » d’Égypte est l’événement fondateur d’Israël comme peuple et donc le pilier de sa foi. La sortie d’Égypte avait été précédée d’un repas lors duquel chaque famille immolait un agneau, dont le sang était mis sur les linteaux des portes et la chair mangée en toute hâte, car le départ était imminent (Ex 12). Pendant la nuit du départ a eu lieu l’ultime épreuve qui a finalement décidé Pharaon à laisser partir les Hébreux : l’épreuve de la mort de tous les premiers-nés, exceptés ceux des Hébreux, protégés par le mystérieux sang de l’agneau dont les linteaux des portes étaient badigeonnés. Cette nuit est appelée la nuit de « Pâque », terme qui signifie « sauter par-dessus », car le Seigneur a littéralement « sauté par-dessus » (Ex 12, 23) les portes des Hébreux, de sorte que la mort n’est pas entrée chez eux. Depuis lors, chaque année, chaque semaine lors du sabbat et chaque jour lors de la prière, on célèbre la fête de Pâque dans les familles juives en partageant le repas pascal[1], en mémoire de la libération du joug égyptien.

Faire mémoire signifie beaucoup plus que « se souvenir ». Le mémorial a le pouvoir de faire qu’un événement traverse le temps. Un événement qui a eu lieu dans le passé est rendu actuel et présent par le rite du mémorial. En faisant mémoire de la libération d’Égypte lors du repas de la Pâque, le peuple demande à Dieu de se rappeler ce qu’il a fait, afin qu’il continue à le faire aujourd’hui. Il est dit dans la Haggada[2] qu’ « à chaque génération, chacun est obligé de se considérer comme si lui-même était sorti d’Égypte. » Ainsi, le mémorial est un événement de salut ou de libération rendu sans cesse actuel pour soi aujourd’hui.

 

La pâque chrétienne : mémorial eucharistique institué par Jésus

Précisément au moment de la Pâque juive, à Jérusalem, les auteurs des Évangiles synoptiques relatent comment Jésus, la veille de sa Passion, « prenant du pain, rendit grâces, le rompit et le donna à ses disciples, en disant : “Ceci est mon corps, livré pour vous ; faites cela en mémoire de moi.” Il fit de même pour la coupe après le repas, en disant : “Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang, versé pour vous” » (Lc 22, 19-20). Dans le livre de l’Exode, le repas de pâque avait été institué la veille au soir de la délivrance d’Égypte, comme mémorial de cette libération. Dans les synoptiques, Jésus institue le don de son Corps et de son Sang précisément durant le repas pascal, la veille au soir avant d’être livré, comme mémorial de sa victoire sur le péché et sur la mort. Le mémorial eucharistique institué par Jésus ne se comprend donc qu’à la lumière de la libération d’Égypte. Le sang de l’agneau déposé sur les linteaux des portes pour protéger les nouveau-nés hébreux de la mort a été compris par les chrétiens comme une préfiguration du sang de Jésus, l’agneau de Dieu, qui libère du péché conduisant à la mort spirituelle. La chair de l’agneau du repas de la nuit de Pâque préfigurait la chair du Christ : « Ceci est mon corps livré pour vous ».

 

Dieu - libérateur de l’homme

En conclusion, dès les premières pages de l’Ancien Testament, Dieu se révèle comme le Dieu libérateur de l’homme. Dieu est le champion de la liberté ! Son souhait pour l’homme est qu’il soit libre de tout ce qui l’emprisonne. Cet esclavage peut être physique, comme c’était le cas en Égypte, mais plus profondément, il peut être spirituel, comme l’esclavage du péché. Par sa croix et sa Résurrection, Jésus nous libère définitivement du joug du péché qui conduit à la mort. Bien entendu, nous restons pécheurs et… mortels. Alors qu’est-ce qui a vraiment changé après la mort et la Résurrection de Jésus ? La victoire du Christ ne se situe pas dans l’élimination du péché et de la mort, mais dans la libération de l’esclavage qu’ils exercent sur nous. La foi en Jésus nous rend capables de renoncer petit à petit et de plus en plus au péché. La foi en Jésus nous donne la certitude que la mort n’a plus le dernier mot. En ressuscitant, Jésus nous rouvre l’accès à la vie nouvelle et éternelle, au point que vivre en chrétien a souvent été compris comme une nouvelle naissance, voire une nouvelle création.

[1] Un repas qui se déroule selon un ordre particulier. On prépare un plateau avec des mets symboliques : des herbes amères, un os, un mélange fait avec de la pomme, noix, vin et cannelle pour rappeler le mortier, le dur labeur en Égypte, sans oublier le pain azyme.

[2] La haggada est le récit de la sortie d’Égypte, qu’on lit au long du repas.

 

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