Discernement à l'École Apostolique de l'Immaculée Conception

A l’École Apostolique nous aidons les élèves à discerner entre deux biens : la vocation sacerdotale ou la vie dans le mariage...Face à une décision importante comme celle d’un choix de vie, il importe de considérer attentivement tous les aspects de la question, de l’analyser, de l’examiner sous toutes ses faces. Portons dans nos prières ces jeunes qui ont la responsabilité particulière de discerner un possible appel, puisque d’eux dépend en grande partie la présence de Dieu dans le monde de demain.

1 Sam 2, 1 Le jeune Samuel était au service de l'Éternel devant Éli. La parole de l'Éternel était rare en ce temps-là, les visions n'étaient pas fréquentes. 2 En ce même temps, Éli, qui commençait à avoir les yeux troubles et ne pouvait plus voir, était couché à sa place, 3 la lampe de Dieu n'était pas encore éteinte, et Samuel était couché dans le temple de l'Éternel, où était l'arche de Dieu. 4 Alors l'Éternel appela Samuel. Il répondit : Me voici ! 5 Et il courut vers Éli, et dit : Me voici, car tu m'as appelé. Éli répondit : Je n'ai point appelé ; retourne te coucher. Et il alla se coucher. 6 L'Éternel appela de nouveau Samuel. Et Samuel se leva, alla vers Éli, et dit : Me voici, car tu m'as appelé. Éli répondit : Je n'ai point appelé, mon fils, retourne te coucher. 7 Samuel ne connaissait pas encore l'Éternel, et la parole de l'Éternel ne lui avait pas encore été révélée. 8 L'Éternel appela de nouveau Samuel, pour la troisième fois. Et Samuel se leva, alla vers Éli, et dit : Me voici, car tu m'as appelé. Éli comprit que c'était l'Éternel qui appelait l'enfant, 9 et il dit à Samuel : Va, couche-toi ; et si l'on t'appelle, tu diras : Parle, Éternel, car ton serviteur écoute. Et Samuel alla se coucher à sa place. 10 L'Éternel vint et se présenta, et il appela comme les autres fois : Samuel, Samuel ! Et Samuel répondit : Parle, car ton serviteur écoute.

L’Ancien Testament nous présente le cas éloquent de l’appel de Samuel, un petit garçon consacré à l’Eternel par sa mère Anne et au service du prêtre Eli (cf. 1 Sam 3, 1-10). C’est lorsque Samuel se trouve « couché dans le temple de l’Eternel, où était l’arche de Dieu » que retentit l’appel du Seigneur à une mission toute particulière.
Le fait qu’il soit à ce moment tout près de l’arche de Dieu, dans le temple, n’est certainement pas anodin. L’expérience enseigne en effet que la voix de Dieu se fait mieux entendre dans un contexte de proximité du Seigneur. « Près de l’arche » signifie « en présence de Dieu », l’arche étant bien entendu une préfiguration de ce que sera plus tard la présence eucharistique.

Mais la proximité de Dieu ne suffit pas. Encore faut-il pouvoir décoder l’appel. D’où l’importance d’une autre proximité pour Samuel, celle du prêtre Eli. Précisons que celui-ci est lui-même dépassé par l’appel. A trois reprises, l’enfant va le réveiller pensant que c’est Eli qui l’appelle. Celui-ci ne comprend pas ce qui se passe. Néanmoins, finissant par réaliser que Dieu est à l’œuvre, il donne cette indication au jeune garçon : « Va, couche-toi ; et si l'on t'appelle, tu diras : Parle, Éternel, car ton serviteur écoute ». En dépit de l’intervention du prêtre, l’appel continue d’être une affaire très personnelle entre Dieu et l’enfant. Façonné par une longue tradition de mille ans d’Histoire Sainte et assisté par la grâce de Dieu, Eli ne se substitue pas à Samuel dans ce rapport d’amour. Il n’en prend pas jalousement possession. Par ses conseils, il se limite à le favoriser ; il balise le chemin et ratifie l’inspiration lorsque le garçon lui raconte ce que le Seigneur lui a communiqué : « Et Éli dit : C'est l'Éternel, qu'il fasse ce qui lui semblera bon! »

Ce texte biblique nous donne des éléments importants dans tout discernement vocationnel. Dans une matière aussi délicate et transcendantale, la personne intéressée ne doit pas être seule à discerner. Une tradition de quatre mille ans d’histoire entre Dieu et Son peuple parle par la bouche de ministres de Dieu dûment formés et expérimentés qui sauront la guider, la grâce de Dieu aidant. Mais aussi cette tradition, qui est vivante, propose précisément des modes de vie qui rendent plus propices l’écoute de l’appel. Samuel entendit le Seigneur dans le silence de la nuit, alors qu’il était en repos. Une ambiance favorisant le contact avec Dieu, le silence et la paix intérieures sont toujours décisifs pour la réception de la Parole de Dieu.

Nous pourrons mieux saisir jusqu’à quel point ces éléments sont décisifs après avoir compris en quoi consiste le discernement. Les maîtres de vie spirituelle nous le présentent comme un art nous permettant de découvrir entre plusieurs biens quel est celui que le Seigneur souhaite pour nous. Le fait qu’il soit un art mérite d’être souligné. Cela veut dire qu’il est une capacité qui ne s’acquiert pas du premier coup, mais qui se développe avec le temps, avec la pratique, ne se limitant pas à reproduire des règles fixes. Les règles de discernement existent, certainement, mais dans un terrain aussi changeant selon les cas – puisque nous sommes en présence de deux libertés, la nôtre et celle de Dieu – elles doivent être appliquées avec opportunité … avec art, précisément.

En même temps, le discernement dont il question ici n’est pas entre un bien et un mal. A l’École Apostolique nous aidons les élèves à discerner entre deux biens : la vocation sacerdotale ou la vie dans le mariage. Ce type de discernement ayant trait à deux biens est plus ardu. La différence entre le bien et le mal est objective. Normalement on les distingue assez bien en posant dûment les prémisses et en suivant une méthode de pensée. Cela ne suffit pas lorsqu’il s’agit de saisir entre deux biens celui qui est voulu par Dieu pour moi. L’élément subjectif occupe ici une place fondamentale.

Certes, des raisons plus ou moins solides et objectives pour estimer que l’on est appelé au sacerdoce ont un poids considérable : les qualités humaines et spirituelles requises, une attirance personnelle pour le ministère, des signes que Dieu a bien voulu me concéder… Mais tout cela est insuffisant. Les raisonnements sont insuffisants. Quelque chose d’autre est requis : à partir de ces éléments objectifs, acquérir la perception de la volonté de Dieu pour moi, ce qui ne se fait pas sans consulter ce que l’on appelle nos « sentiments spirituels ». Ceux-ci sont en effet une réaction intérieure à l’Esprit Saint agissant en nous et nous permettent de comprendre de quel côté « souffle le Vent ? ».

Face à une décision importante comme celle d’un choix de vie, il importe de considérer attentivement tous les aspects de la question, de l’analyser, de l’examiner sous toutes ses faces. Mais tout cela appartient encore à un niveau simplement humain. Si l’on en reste là, le discernement sera humain et non spirituel. Il faut se plonger dans la prière, au niveau de l’Esprit et examiner, au fur et à mesure qu’avance la réflexion personnelle, quels sont les sentiments spirituels que Dieu dépose en moi. Où suis-je en paix ? Où est-ce que je trouve une joie profonde ? Où puis-je ressentir une attraction toute spirituelle ?

Ce processus personnel de discernement est comme un ouvrage en filigrane. Les sentiments qui nous assaillent sont multiples et de multiples ordres. Ils peuvent appartenir au monde simplement physique, à la dimension psychologique ou alors être situés dans le domaine de l’esprit. Une vie spirituelle profonde où l’âme apprend à se détacher petit à petit d’elle-même pour se livrer à l’Autre, aiguise, bien entendu, les sens spirituels, et contribue à intensifier d’autre part la présence de l’Esprit en nous, rendant beaucoup plus familières les expériences de Ses inspirations.

Revenant à Samuel, c’est dans le silence de la nuit et près de l’Arche que la voix de Dieu se fait entendre. Il ne sait pas encore faire la différence entre cette voix et celle d’Eli. Mais sous le regard bienveillant de ce maître, il apprendra graduellement à faire la différence et à se laisser guider.

Les formateurs sont ainsi appelés à être des guides indispensables, eux-mêmes dociles, détachés de leurs propres opinions et habitués à entendre la voix de l’Esprit dans leur cœur. Sans leur concours le discernement devient hasardeux. L’âme peu expérimentée dans les chemins de la vie spirituelle peut se tromper à elle-même facilement, surtout si son cœur n’est pas suffisamment purifié. Faire la différence entre un sentiment tout spirituel et une réaction psychologique simplement humaine n’est pas toujours une mince affaire. N’oublions pas l’action du malin qui fera tout pour entraver un choix de vie pour le sacerdoce, ou qui pourra peut-être pousser quelqu’un au sacerdoce alors qu’il n’en a pas la vocation.

Le cadre et l’ambiance de l’École Apostolique sont porteurs. Les élèves se familiarisent petit à petit avec la prière, ils apprennent à y prendre du goût. Nous les éduquons également à garder silence à certains moments de la journée ou dans certains lieux. Ils deviennent ainsi capables de silence. Dans une société plongée dans le bruit, c’est un atout précieux ! Le silence bien vécu amène à la réflexion, à l’écoute, à la concentration et finalement à la parole, mais à une parole pensée, à une parole couvée dans le cœur, pétrie dans la prière et donc riche de sens. A une parole susceptible de devenir ainsi une vraie réponse à la Parole la plus importante de nos vies : l’appel de Dieu.
L’ambiance propice et l’accompagnement des formateurs doivent aider le jeune à développer en lui le sens de l’amour. Nous considérons qu’il s’agit d’une clef essentielle du discernement. Dieu est amour, tout ce que nous recevons de Lui est don d’amour, Son langage est uniquement celui de l’amour. On le décodera d’autant mieux que nous aurons développé en nous une connaturalité à l’amour.

Voilà pourquoi nous insistons dans le processus de discernement sur la centralité de l’amour qui prime sur la question du devoir. Certes répondre à l’appel de Dieu concerne mon devoir, mais cette notion est insuffisante pour rendre compte de ce que Dieu attend de nous. Dieu n’oblige pas un homme à prendre le chemin du sacerdoce : il l’invite par amour. Si l’on ressent quelque obligation c’est parce que « l’amour oblige », et donc cette obligation est toute dérivée de l’amour et non première.
Dans la mesure où les jeunes croîtront dans leur capacité d’aimer, parce qu’ils apprennent à vivre la charité en toute chose, dans cette mesure, ils seront à même de saisir l’amour de Dieu qui les invite, et d’y répondre de la seule façon satisfaisante : avec amour. Nous savons très bien que souvent la peur nous empêche d’écouter ce que Dieu désire nous faire savoir. Il s’agit d’un des sentiments qui brouille le plus le discernement. Or, « la crainte n'est pas dans l'amour, mais l'amour parfait bannit la crainte » nous enseigne Saint Jean (1 Jn 4, 18).

D’où l’importance d’une formation intégrale qui soit en même temps intégrante, c’est-à-dire une formation où l’être en développement se ramasse, s’unifie par la force de l’amour. Saurait-il être brillant, un homme divisé intérieurement, tiraillé entre l’affectif, le sentimental et le rationnel, ne pourra que très difficilement écouter ce que Dieu veut lui dire.
Liée à cela, toute une éducation dans la prière est requise. Il est si facile de se limiter dans ce domaine à la récitation de formules, alors qu’avant tout il s’agit d’une affaire du cœur. C’est la prière du cœur, qui nous « branche avec Dieu ». La prière doit comporter des temps de silence, pour qu’elle devienne personnelle, pour qu’elle implique l’intéressé dans ce qu’il a de plus intime. C’est là, au cœur de lui-même, que résonne la voix de Dieu. Apprendre à prier avec le cœur, c’est en même temps apprendre à accéder au plus profond de soi-même et apprendre à être véritablement en présence de Dieu.

Un mot sur les sacrements s’impose, et en particulier sur l’Eucharistie et la confession. Samuel vivait autour de l’arche, de la même façon que nous sommes appelés à vivre autour de l’Eucharistie, et plus encore à vivre de l’Eucharistie. Un discernement vocationnel catholique se veut eucharistique. L’Eucharistie est en même temps le plus beau témoignage d’amour et la Présence vivante d’amour. Au travers de l’adoration, de la Sainte Messe et d’autres temps de prière dans la chapelle, nos élèves se « christifient » en contemplant le Seigneur et en s’alimentant de lui. Une communion profonde entre le Seigneur et ses enfants s’instaure petit à petit, et c’est dans ce contexte que tout naturellement se produit le discernement. Normalement, les combats intérieurs, les heures de doute, les obscurités, sont moins aiguës chez une âme eucharistique, habituée à recevoir chaque jour le « Soleil de Dieu ».

Eli demanda à Samuel, après son dialogue avec Dieu, de ne rien lui cacher de ce qu’il avait entendu du Seigneur. L’action de la confession vient rendre possible le « miracle eucharistique » intérieur du fidèle, puisqu’il garantit une réception adéquate de la Sainte Communion. En outre, la confession affine chez l’élève le sens de la sincérité envers soi-même et Dieu. Voilà pourquoi nous donnons à nos élèves la possibilité de se confesser autant qu’ils le désirent, ce qui leur permet de vivre dans la transparence et la lumière.

Encore faut-il préciser que le discernement ne se réalise pas simplement entre les quatre murs de l’École Apostolique. Celle-ci ne peut être espace de discernement authentique qu’en tant qu’elle est un espace ouvert… ouvert à la famille appelée à participer activement au processus et ouvert au monde, avec lequel l’adolescent doit se confronter pour se comprendre et prendre en conséquence une décision valide sur sa vie. Sans horizon, on ne peut bien discerner ; comme il serait hasardeux de le faire sans être dûment enraciné dans ce qui a façonné et constitué la propre identité, c’est-à-dire le terreau de sa propre famille.

Comme on le voit dans le processus de discernement, les facteurs en cause sont multiples et complexes, ce qui explique que temps et patience sont requis, ainsi que la collaboration silencieuse et discrète de toute l’Église priante. Oui, portons dans nos prières ces jeunes qui ont la responsabilité particulière de discerner un possible appel, puisque d’eux dépend en grande partie la présence de Dieu dans le monde de demain.

Père Antoine Coelho, LC