Histoire de la vie consacrée féminine

Il paraîtrait que même le Bon Dieu ne saurait dire combien il existe de congrégations féminines tant elles sont nombreuses et diverses de par le monde et dans l’histoire. Qui sont ces femmes qui, aujourd’hui encore, dans un contexte sécularisé comme le nôtre en Europe, choisissent librement de renoncer à des biens légitimes pour suivre le Christ en émettant des vœux de pauvreté, chasteté et obéissance ? Une présentation de Chantal de Baillenx.

Il paraîtrait que même le Bon Dieu ne saurait dire combien il existe de congrégations féminines tant elles sont nombreuses et diverses de par le monde et dans l’histoire. Il y a, selon moi, double matière à s’émerveiller : cela révèle d’une part la créativité infinie de l’Esprit Saint mais il est aussi question d’une histoire d’alliance entre Dieu et chacune de ces religieuses. Elles seraient en 2016 un peu plus de 700 000 mille, c’est-à-dire un millier de plus que les prêtres, diacres permanents et religieux confondus[1]. Toujours selon la même source, si le nombre de catholiques et de prêtres diminue considérablement en Europe, seul, le nombre de femmes consacrées serait en augmentation sur ce même continent.

Qui sont ces femmes qui, aujourd’hui encore, dans un contexte sécularisé comme le nôtre en Europe, choisissent librement de renoncer à des biens légitimes pour suivre le Christ en émettant des vœux de pauvreté, chasteté et obéissance ? Nous parlions tout à l’heure de la diversité des congrégations féminines : il s’agit même de diversité de forme de vie consacrée. Sous le vocable vie consacrée, on rencontre en effet des religieuses, des membres d’instituts séculiers, des ermites, des vierges consacrées, des laïques consacrées. Le tronc commun à la vie consacrée est « (…) à chercher dans le rapport spécial que Jésus établit avec certains de ses disciples, qu’il invita non seulement à accueillir le Royaume de Dieu dans leur vie, mais aussi à mettre leur existence au service de cette cause, en quittant tout et en imitant de près sa forme de vie ».[2] À partir de là, laissons l’Esprit Saint « voler » et inspirer les différentes formes de vie consacrées qui correspondent aux lieux et aux besoins des hommes et des femmes de chaque époque. « Comment ne pas faire mémoire envers l’Esprit de l’abondance des formes historiques de vie consacrée suscitées par lui. (...) Ces formes ont l’aspect d’une plante multiple aux rameaux, qui plonge ses racines dans l’Évangile et produit des fruits abondants à tous les âges de l’Église », s’exclamait saint Jean-Paul II.[3]

Nous pourrions résumer en quatre grandes périodes l’histoire de la vie consacrée féminine.

 

• L’Église primitive

La première est celle de l’Église primitive. La vie consacrée se caractérise par le célibat pour le royaume de Dieu. Or, cet état de vie est quasiment étranger à la culture juive et gréco-romaine. Il est scandale pour l’univers juif qui n’envisage en aucun cas le célibat : la finalité du couple fait partie du dessein de Dieu pour le monde. Marie sera la première consacrée. Il est folie pour la civilisation gréco-romaine dans laquelle des lois impériales rendent le mariage obligatoire afin de maintenir l’ordre social établi. La femme n’a tout simplement pas d’existence autonome : elle passe directement de la maison de son père à celle de son époux.

Or, dès la première génération chrétienne, comme nous le voyons dans saint Paul, des jeunes femmes désirent vivre vierges pour suivre le Christ. Cet état de vie est aussitôt reconnu par l’Église. On la protège, on la met à l’honneur, par exemple en lui donnant sa place dans les cérémonies liturgiques ; on lui consacre des traités, dont les plus connus sont ceux de Tertullien et de saint Ambroise. Elles sont présentes et actives dans la cité, à tel point que leur vie « à contre-courant » devient un témoignage pertinent pour leurs contemporains : qui est ce Jésus-Christ pour qui ces femmes choisissent libres et joyeusement de sacrifier des biens légitimes pour le suivre ?

 

La période monastique

À partir du 4e siècle débute la période monastique. Au cours de ce siècle, le monde romain se convertit au christianisme. Les mœurs chrétiennes sont de plus en plus acceptées par la société. Dès lors, vivre célibataire dans le monde perd, en quelque sorte, de sa force exemplaire, de son rôle de « provocation ». Ceux qui veulent vivre une vie différente quittent alors la société normale et se réfugient dans les déserts. C’est la naissance du monachisme avec saint Antoine en Égypte. Quand saint Benoît fonde au Mont Cassin un monastère d’hommes, sa sœur sainte Scholastique établit parallèlement un monastère de femmes. C’est l’origine de milliers de monastères contemplatifs féminins qui se répandront partout en Europe.

On y recherche la perfection de la vie chrétienne par l’émission des vœux de pauvreté, chasteté, obéissance. L’évangélisation se fait indirectement. Les moines deviennent un vrai point de référence pour la population, mais, en principe, ils ne s’attachent pas directement à la conversion des peuples. Cette affirmation est valable surtout pour les femmes. Car si à partir des 12e et 13e siècles naissent les ordres mendiants et prêcheurs qui font sortir les moines de leurs monastères, leurs branches féminines restent cloîtrées. Les clôtures papales pour les religieuses des 12e [4] et 14e[5] siècles ne font que confirmer cette réalité.

 

• La période des congrégations

Après plusieurs inspirations non abouties, les premières formes de vie consacrée apostolique se développent enfin grâce notamment à Angèle Merici (Ursulines) et Louise de Marillac (Filles de la Charité) à partir des 16e et 17e siècles. C’est la période des congrégations, c’est-à-dire des communautés de femmes de vie active, d’évangélisation directe. Désormais, les femmes peuvent vivre chastement dans le monde, et non plus seulement dans les cloîtres, en menant à la fois une vie de sainteté et de service. Ces fondations se développent aussi au Canada et en Indochine où elles contribuent à la construction des nouvelles sociétés. Elles manifestent la dimension sociale de la vie consacrée féminine, véritable service laïc accompli par la femme, épouse du Christ. Au 19e siècle, l’on assiste à un véritable essor de ces congrégations au service des pauvres, des malades, de l’instruction de jeunes filles.

 

• Après la Seconde Guerre Mondiale

La quatrième période commence après la Seconde Guerre Mondiale. Le 20e siècle entame une vraie séparation entre la société et la vie spirituelle. La foi devient un sujet privé. « L’Esprit Saint, admirable artisan de la variété des charismes, a suscité en notre temps des nouvelles expressions de la vie consacrée ; cela paraît répondre, selon un dessein providentiel, aux besoins nouveaux que rencontre l’Église aujourd’hui pour accomplir sa mission dans le monde ».[6] C’est l’apparition des instituts séculiers dans les années 40.

Puis, surgissent de par le monde et sans coordination humaine, des hommes et des femmes désirant vivre avec radicalité leur vie à la suite du Christ, tout en restant proches du style de vie de leurs contemporains et en comptant sur la complémentarité des états de vie dans l’Église : « La vocation à la vie laïque, au ministère ordonné et à la vie consacrée sont au service l’une de l’autre pour la croissance du corps du Christ dans l’histoire et pour sa mission dans le monde ».[7] Les hommes et les femmes consacrées de Regnum Christi s’inscrivent dans ce mouvement-là, au même titre que tant de communautés nouvelles. L’Église n’y est pas insensible. Elle y a dédié déjà trois congrès internationaux (2007, 2011, 2016) pour les accompagner dans leur cheminement.

« Ces nouvelles formes de vie consacrée, qui s’ajoutent aux anciennes, témoignent de la puissance d’attraction que le don total au Seigneur, l’idéal de la communauté apostolique et les charismes de fondation continuent d’exercer sur la génération actuelle. Elles sont aussi le signe de la complémentarité des dons de l’Esprit Saint ».[8]

[1] - Chiffres consultés sur les statistiques de l’Église Catholique en 2016, publiées par l’Agence Fides le 23 octobre 2016.
[2] - Exhortation apostolique Vita Consacrata, n° 14, Jean-Paul II, 1996.
[3] - Exhortation apostolique Vita Consacrata, n° 5, Jean-Paul II, 1996.
[4] - L’acte de naissance de cette clôture papale fut la Constitution de Boniface VIII, Periculoso, 1298.
[5] - Constitution de Pie V, Circa Pastoralis, 29 mai 1566.
[6] - VC, 10.
[7] - VC, 31.
[8] -VC, 12.