La spiritualité particulière d’un institut ou d’un mouvement souligne un trait du mystère du Christ que leurs membres se sentent appelés à déployer dans leur vie et leur mission. Ils accomplissent ainsi au sein d’un mouvement particulier la vocation universelle à trouver dans le mystère et la personne du Christ le sens de leur vie de prêtres, religieux, consacrés ou baptisés laïcs.
La description dans les Lineamenta du charisme du mouvement Regnum Christi de notre famille spirituelle comme « un mouvement ecclésial d’apostolat dont les membres cherchent à vivre leur vie chrétienne à la lumière du mystère du Christ Roi » (Lineamenta, 1er paragraphe) est une invitation à méditer sur les thèmes du Christ Roi et du Royaume de Dieu. Nous écoutons aujourd’hui ce que nous en dit la Parole de Dieu dans l’Ancien et le Nouveau Testament.
Les auditeurs de Jésus étaient un peuple persécuté à ce moment-là par les Romains, mais auparavant par les Grecs, les Perses, les Assyriens et d’autres armées encore. Les Juifs aspiraient à un retour de la splendeur qu’ils avaient connue sous David, Salomon ou sous la restauration du Temple à la fin du 6ème siècle avant Jésus-Christ. Dans le Nouveau Testament, le « Royaume » prend un sens particulier : Jésus apprend et enseigne que c’est au « petit troupeau » de ses disciples qu’est donné le Royaume. Ce sont les simples et les petits qui l’accueillent (Mt 11,25). Deux aspects ici : l’humilité intérieure de ceux qui veulent entrer dans le Royaume ; d’autre part, un Royaume qui n’est pas tant pris ou conquis par les croyants que donné par Dieu le Père : « Sois sans crainte, petit troupeau, car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume » (Lc 12, 32).
La grande leçon du prophète Isaïe, puis du Christ et de saint Paul, est que le Royaume dépasse largement les frontières d’Israël : frontières de la Palestine comme zone géographique, frontières intérieures de notre cœur qui a sans cesse besoin de s’élargir pour accueillir l’avènement étonnant du Royaume.
Dès la venue de Gabriel auprès de Marie, Jésus est annoncé comme un roi : « son règne n’aura pas de fin » (Lc 1,33). Tous attendaient un libérateur. L’Ancien Testament avait promis l’avènement d’un Rédempteur, un protecteur qui paierait la rançon pour racheter les hommes réduits à l’esclavage. Saint Paul s’exclamera : « Il nous a arrachés à l’empire des ténèbres et nous a transférés dans le Royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption, la rémission des péchés » (Col 1,13).
Ajouter au personnage de Jésus le qualificatif de « roi » peut sembler plus qu’une aide pour mieux le connaître, un obstacle supplémentaire : nous ne vivons pas dans une monarchie et il n’y a au 21ème siècle aucun État semblable à l’Israël du temps de la rédaction des Livres saints qui utilise le terme de roi ou royauté. Mais Jésus lui-même explique que ce n’est pas un obstacle : quand Nathanaël reconnaît en lui le « Roi d’Israël », le Christ oriente son regard vers la parousie : le moment où à la fin des temps, Il triomphera définitivement (Jn 1,49).
Nous rentrons ici dans une dimension sans cesse revisitée par les théologiens de « l’eschatologie » : la connaissance des vérités dernières, ce qui se passera à la fin des temps. « Déjà mais pas encore » : le Royaume de Dieu adviendra à la fin des temps – « pas encore » - mais il est « déjà là ». « Car voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous » (Lc 17, 21).
Benoît XVI se penche sur le sujet dans le 1er tome de la série Jésus de Nazareth. Avec nous il se pose la question : mais comment Jésus pouvait-il dire à son époque que le Royaume de Dieu était là, si les Romains continuaient à crucifier leurs condamnés, si les Juifs étaient divisés entre eux, si des familles continuaient à s’entretuer ? N’est-il pas presque scandaleux de dire ces paroles aujourd’hui, avec toute la souffrance qui subsiste dans le monde ? Et le Saint-Père de nous répondre : le Royaume de Dieu, c’est Jésus lui-même présent au milieu des disciples et présent aujourd’hui au milieu de nous. Ce que Jésus est venu porter dans le monde, ça n’est pas d’abord un nouvel ordre politique, mais c’est Lui-même, Emmanuel, Dieu avec nous. Nous ne sommes plus seuls pour faire face aux défis quotidiens, Il est là avec nous.
« Tu le dis : je suis roi » (Jn 18,37). C’est devant Pilate que Jésus révèle clairement qu’Il est roi. Sa Passion devient alors la révélation paradoxale de sa royauté. Ce qui pour le monde est le plus grand motif de doute de l’existence de Dieu, la présence écrasante de la souffrance, devient en Jésus qui souffre pour nous la manifestation de sa grandeur. Quelques instants avant sa mort, Il accueillera comme premier citoyen de son royaume un condamné à mort repenti, le bon larron (cf. Lc 23,42). La première condition pour entrer dans le royaume de Jésus, c’est reconnaître que nous avons besoin de Sa miséricorde.
Adhésion confiante à la présence de Jésus, confiance en la miséricorde divine, autant d’attitudes qui font entrer dans le Royaume et qui éclairent le mystère du Christ Roi.
Mais nous qui sommes aimés par le « désir ardent et l’urgence de travailler pour instaurer dès maintenant le Règne de Dieu » (Lineamenta, 1) et qui redisons si souvent « Que ton Règne vienne ! », comment pouvons-nous concevoir notre mission apostolique ?
Juste avant de remonter au Ciel, Jésus entend les disciples lui demander si c’est maintenant qu’Il va rétablir la royauté en Israël. A nouveau Il les invite à élever leur regard et leur dit : « Mais vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). Le règne de Jésus s’établit par l’annonce de son Évangile. La Parole de Dieu contient sa propre efficacité, elle est une lettre ouverte de Dieu à l’homme et quand nous prêchons la Parole, nous sommes les témoins déclarés de Dieu auprès de l’homme.
Un passage évangélique particulièrement significatif et encourageant est celui où Jésus envoie les Douze en mission et leur donne ses conseils et recommandations : « ne cherchez pas avec inquiétude comment parler ou que dire : ce que vous aurez à dire vous sera donné sur le moment, car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit de votre Père qui parlera en vous » (Mt 10,19-20).
Dans l’instauration du royaume de Dieu, il y a donc deux actions qui ne devraient pas s’opposer, mais se compléter : l’action principale de l’Esprit Saint - le Royaume est le « foisonnement de l’Esprit Saint », l’action secondaire des disciples qui entrent dans l’action de l’Esprit Saint en étant témoins de Jésus-Christ. Alors construire le Royaume, c’est accueillir l’Esprit Saint et son action à travers nous comme instruments.
Les « Paraboles du Royaume de Dieu » (Mt 13) – prédications de Jésus pour nous faire comprendre à travers des images ce qu’est ce Royaume – nous parlent justement de ce double principe. Le petit grain de sénevé qui devient un arbre, le filet qui recueille de nombreux poissons, le levain qui fait mystérieusement lever la pâte… Elles nous parlent à la fois d’action humaine et de non-action, de laisser faire, de dépendance d’autres conditions qui ne sont pas complètement entre nos mains. Bien sûr il faut tout donner pour avoir en héritage le Royaume, mais ce Royaume c’est Jésus qui le conquiert pour nous.