Puiser aux mystères de la foi

Après des études d’ingénieur à l’école Polytechnique, le Père Nicolas Bossu est entré en 1999 chez les légionnaires du Christ. Il a été ordonné prêtre en 2009, a terminé la Licence Canonique en Théologie Biblique à l’Université Grégorienne de Rome en 2011 et travaille sur un doctorat dans le même domaine. Il partage ici son expérience de prêtre étudiant.

Regnum Christi : Père Nicolas, vous avez été ordonné prêtre en 2009 et vous venez de passer un semestre à Jérusalem. Pourquoi ?
P. Nicolas :
Tout simplement parce que mes supérieurs m’ont demandé de me spécialiser dans les études bibliques – et c’est une mission qui me remplit de joie. J’ai donc achevé ma licence à la Grégorienne l’an passé, et j’ai voulu connaître de plus près la Terre Sainte. Notre communauté légionnaire à Notre Dame de Jérusalem m’a ainsi accueilli pendant six mois. Expérience inoubliable : non seulement les études d’hébreu biblique à l’Université Hébraïque – lire enfin de façon fluide les textes – mais aussi connaître de l’intérieur la société israélienne, visiter les lieux de la Rédemption, accompagner les groupes de pèlerins... et partager la mission de Notre Dame de France : établir des ponts entre les différentes populations présentes à Jérusalem (qui en ont si besoin !). à présent je suis sur le point de commencer un doctorat, avec l’espoir de retourner à Jérusalem pour approfondir le même chemin.

RC : Votre mission sacerdotale, ce sont donc les études ?
P. Nicolas :
Effectivement, c’est un ministère moins classique que le seraient une paroisse ou une œuvre de jeunesse mais tout aussi nécessaire à l’Église : la Nouvelle Évangélisation passe aussi par la formation de l’intelligence, Benoît XVI ne cesse de le répéter... Et la Parole de Dieu mérite qu’on s’y consacre ! Bientôt je devrai enseigner à des séminaristes : les quelques idées qu’ils retiennent de nos cours sont celles qu’ils transmettront dans la prédication – les fidèles ont donc intérêt à ce qu’ils soient bien formés s’ils ne veulent pas s’ennuyer pendant le sermon du dimanche ! Du côté des élèves, il y a heureusement un grand désir de formation pour accomplir la propre mission. Le but commun est que l’étude des mystères de la Foi nous conduise à la sainteté personnelle...
De plus, même pendant les études, il y a toujours des occasions d’offrir les sacrements : la messe pour les groupes de pèlerins, les confessions, la prédication de retraites... Je me souviendrai toujours de cette retraite que j’ai prêchée au bord du lac de Tibériade, là où Jésus a proclamé les Béatitudes et appelé saint Pierre !

RC: Quel est votre domaine d’études et quels en sont les enjeux ?
P. Nicolas :
Ma spécialité est la Théologie biblique. Pour simplifier les choses, on pourrait dire qu’elle se situe entre deux groupes de spécialistes : d’un côté, les exégètes, qui étudient le texte biblique en tant que tel (son histoire, ses caractéristiques, etc.), et de l’autre les théologiens qui approfondissent les mystères de la foi (dogmatique) pour nourrir le Peuple de Dieu (spiritualité). Actuellement, dans l’Église catholique, il y a une grande division entre ces deux « mondes » qui ont tendance à s’ignorer. Prenons comme exemple l’Eucharistie : l’exégète s’interrogera sur les paroles historiques que Jésus a prononcées à la Cène (en araméen, à quelle date, etc.), sans faire intervenir la foi. Le théologien dogmatique, quant à lui, posera le problème de la transsubstantiation... en prenant le texte de l’Évangile tel qu’il est (parce qu’inspiré). Quel rapport entre les deux ? Intuitivement, on sent bien que si les paroles de l’Évangile n’ont pas un fondement historique, la foi s’écroule... mais on ne peut pas non plus les étudier froidement comme n’importe quel texte antique ! C’est le rôle du théologien biblique de faire le lien entre ces deux domaines de recherche. Benoît XVI prend très à cœur ce thème : comme Pape, il a pris le temps d’écrire deux livres sur Jésus avec cette méthode de dialogue entre les disciplines. C’est un beau défi pour l’intelligence de la foi et un exemple que nous essayons de méditer et de suivre.

RC: Quelle a été votre expérience au contact de la société israélienne ?
P. Nicolas :
Un regard complètement changé par l’expérience. La vie à Notre Dame et les cours d’hébreu moderne m’ont mis en contact avec des Palestiniens, des Juifs immigrants, des Asiatiques, etc. J’étais venu avec les idées typiques – pas complètement fausses – de l’Occidental moyen (une certaine honte vis-à-vis de l’antisémitisme européen, etc.), et il a fallu découvrir une réalité toujours très complexe, loin des schémas préétablis. Il est déroutant de constater les injustices faites aux Palestiniens, d’admirer la seule démocratie du Moyen-Orient, d’avoir un jugement serein sur le sionisme de l’État d’Israël, de se sentir plus proches – pour ce qui est de la religion populaire – des Musulmans que des Juifs...
C’est une terre où la réalité, les rencontres, les amitiés, nous désarçonnent perpétuellement. Carrefour de tant de civilisations, langues et religions... Certainement un point névralgique du monde contemporain. Au sein duquel le Centre de Notre Dame a une grande mission : celle de bâtir des ponts entre les hommes. Ce n’est pas facile, les ingénieurs savent qu’il faut parfois jeter inlassablement des blocs de pierre dans l’eau pour pouvoir trouver un appui solide où construire ensuite un pilier durable. Ces blocs sont les efforts de l’Église, qui restent apparemment sans effet. Et les ponts restent toujours fragiles... mais nous gardons confiance, puisque le Christ a lui-même établi le pont le plus difficile, entre Dieu et l’homme pécheur.

RC : Et les différentes communautés chrétiennes ?
P. Nicolas :
Là aussi, un changement de regard. Beaucoup parlent du « scandale de la division », en particulier au Saint Sépulcre. C’est en partie vrai. Mais en y regardant de plus près, il est tout de même impressionnant que le status quo y fonctionne si bien, depuis des siècles. Pouvez-vous me citer un sanctuaire d’une religion où des frères séparés cohabitent en paix – avec quelques coups de balais de temps à autre, mais sans aller au-delà ? La situation n’est pas si scandaleuse et, s’il y a parfois des tensions entre les clercs, les hiérarchies respectives savent calmer le jeu... tandis que les fidèles, eux, vivent dans la charité fraternelle (beaucoup de mariages mixtes).
Ce serait plutôt l’injustice qui leur est faite, en tant que Palestiniens par l’État d’Israël, et en tant que chrétiens par certains groupes musulmans, qui devrait attirer notre attention. Que faisons-nous pour les aider à rester au pays du Christ, fidèles à leur mission si difficile de témoins sur les lieux de la Rédemption ? Nous sommes tous nés spirituellement à Jérusalem, ce devrait être aussi notre patrie affective...

RC : Justement, que nous conseillez-vous de faire pour eux ?
P. Nicolas :
Tout d’abord, prier. L’enjeu est avant tout spirituel, il s’agit de convertir les cœurs pour ensuite vaincre les injustices. Sans cela, tout le reste est agitation stérile. Ensuite, venir en Terre Sainte, avec un guide chrétien. On n’aime que ce que l’on connaît... L’Évangile n’est plus le même lorsque l’on connaît les lieux où Jésus est né, a prêché, est mort et ressuscité. Enfin, il y a une quantité d’œuvres caritatives et de soutien.

RC : Quelle expérience sacerdotale vous a le plus marqué ?
P. Nicolas :
Les soirs où j’ai pu aller confesser à Gethsémani. Après le dîner, les groupes de pèlerins vont prier dans cette basilique où la roche, mise à nue et illuminée dans l’obscurité du sanctuaire, rappelle la prière de Jésus avant sa Passion. On sent tout le poids du péché qui s’est abattu sur Ses épaules. On entend le gémissement des âmes qui ont été tant de fois esclaves du péché et qui cherchent confusément comment aimer le Christ. Un désarroi immense de ne pas savoir prier, de ne pas savoir accompagner Jésus, exactement comme les disciples. Et c’est précisément en ce lieu qu’a eu lieu la bataille définitive, par laquelle Jésus a vaincu le Mal. C’est donc une grande grâce de pouvoir dire aux pénitents : Courage ! Par sa Résurrection, Il a pulvérisé tous tes péchés, à présent Il est vainqueur et t’entraîne dans la Vie. Il ne te demande qu’une chose, précisément celle que tu fais à présent : être là, avec Lui. Comme prêtre, on a ainsi l’impression de délier un immense fardeau et de permettre à Jésus de reverser dans le cœur de ces personnes toute la consolation, toute la vie, toute l’espérance dont ils ont besoin. C’est souvent le point culminant de leur pèlerinage en Terre Sainte, et leur vie en est changée. Ensuite, après les confessions, on sort avec le Saint Sacrement en procession : quelle émotion de soutenir physiquement Jésus dans le Jardin des Oliviers ! Porter le Christ (c’est le sens du mot grec « Christophoros »), n’est-ce pas l’essence de ma mission comme prêtre ?

Interview réalisée par le Fr. Melchior Poisson, LC