Quand on m'a demandé de témoigner lors du défilé « Pure Fashion », on m'a proposé le thème : « la place de l'intériorité dans le monde du paraître». L'angoisse de la feuille blanche passée, j'ai rapidement réfléchi sur les images et idées qui incarnaient le mieux ce thème pour moi.
Pour moi, l’accomplissement de cette intériorité est le don de soi. Et le monde du paraître est d'abord le monde dans lequel on vit. Alors j'ai pensé à un grand ami spirituel : Pier Giorgio Frassati. Il m'aide et il m'apprend beaucoup à me donner et à oser être dans ce monde où il semble que seule l'apparence compte.
Je suis née avec un handicap moteur, qui m'a beaucoup gênée et me gêne encore pour marcher. Et très vite, on m'a appris à me battre, par la rééducation d'une part, les multiples opérations que j'ai très tôt dues subir, mais aussi par le tempérament de mes parents et leur désir de surpasser le mal. J'ai toujours grandi dans un environnement valide, entre le centre de rééducation et l'école où tous mes copains étaient bien-portants. Très tôt, mes parents m'ont donné le désir de me battre et de me surpasser. Ce tempérament, que je leur dois, m'a fragilisée, notamment à l'adolescence lorsque je me suis rendue compte que l'image idéale que j'avais de moi était inatteignable, et que je ne parvenais pas à faire tout ce que je voulais. Mais il m'a permis aussi d'apprendre à me connaître, et ainsi à poser clairement mes limites (je ne peux pas danser, je ne peux pas courir et ne serai jamais ni athlète ni danseuse). J'ai appris à développer mes capacités, mes talents et passions, par le regard aimant et l'aide de Dieu.
C'est ainsi qu'en septembre 2012, je suis arrivée à Paris. Pendant mon année de terminale, j'ai mûri le désir d'étudier la philosophie plus profondément et de découvrir la psychologie, en m’inscrivant à l'IPC, faculté de philosophie et de psychologie. Première d'une fratrie de quatre à quitter la maison, cela n’a pas était très facile pour mes parents, qui continuaient à croire en moi et à m’inciter à réaliser ce projet de partir à Paris faire mes études.
A l'époque, j'étais proche de Regnum Christi, ce mouvement chrétien me portait dans ma vie de foi, et me donnait des frères et sœurs en Christ, qui sont devenus rapidement des amis. Plus tard, je me suis sentie appelée dans une autre communauté chrétienne de laïcs, la communauté de l'Emmanuel, portée sur l'annonce de Dieu et la prière fraternelle. Ainsi, Dieu m'a rapidement donné des frères et sœurs sur lesquels j'ai pu compter et qui m'ont permis de m'épanouir là où j'étais et m'ont donné l'envie de continuer à me battre pour Dieu.
Bien sûr, ces frères m'ont aidée matériellement pour mes déplacements, vivre à Paris en fauteuil roulant n'est pas facile : les trottoirs sont trop hauts, les métros sont inaccessibles, et les autres moyens de transports généralement difficiles d'accès. Mais ils faisaient beaucoup plus. A l'image de Pier Giorgio Frassati, qui s'est donné entièrement aux pauvres, dans le monde de son époque, je voulais me donner dans ce que j'étais et dans ce que je faisais. J'étais tellement dépendante de mes frères et sœurs, que je me pensais incapable de donner, ou de me donner : ils m'emmenaient à la messe, aux soirées qu'on organisait, ils m'aidaient à faire mes courses,...
J'avais pourtant ce désir dans le cœur qui me venait de Dieu de me donner d'une manière ou d'une autre. Et je me demandais comment, en recevant tout des autres, je pouvais me donner. Alors, dans la prière, je demandais conseil à Dieu, je lui demandais de m'apprendre le service, de m'apprendre à être ce que je devais être, à le servir lui, dans ce que je faisais. Et puis, en acceptant de l'aide, en discutant avec mes amis, je me suis rendue compte que je leur apportais beaucoup, car avec moi, ils pouvaient se donner dans la charité et le service. Dieu m'éclairait beaucoup, il m'apprenait à être vraiment ! A l'image de Jésus recevant tout du Père, et donnant tout à ses amis, il m'apprenait à être dans le don, au présent. A recevoir pour redonner. C'est ainsi que je me suis rendue compte que je recevais le don de l'accueil, quand un frère me proposait de l'aide, j'acceptais avec joie, comme un cadeau, je recevais mon frère en même temps que son service, et ainsi, à travers ce qu'il avait à m'apporter, me mettait à son service.
J'ai aussi découvert le don de soi à travers une petite épreuve quotidienne qu'est le regard des autres (en psychologie, on l'appelle « regard social »). Il est toujours présent et souvent douloureux, que ce soit dans la rue, ou ailleurs. Lors de l'adolescence, ce regard déplacé était source de grande révolte de ma part. A l'époque, j'étais assez violente quand on me regardait avec trop d'insistance. Et puis, en grandissant, j'ai appris à l’accepter. Avec l'aide de l'Esprit Saint, j'ai appris à me donner à ces personnes qui me regardaient. A leur sourire, leur dire bonjour, et pour les plus impolis, à prier pour eux. Bien sûr, cela n'est pas toujours facile, et il m'arrive encore de bouillir intérieurement, quand je suis de mauvaise humeur. Encore récemment. Mais là encore, un ami n'est jamais loin pour me montrer la bêtise de mon jugement. Aujourd'hui, j'ai décidé d'accepter chaque fois qu'une personne dans la rue me propose de l'aide ; j'ai ainsi fait de belles rencontres, j'apprends à adoucir mon cœur et à l'ouvrir à ces personnes. C'est enfin une façon de permettre à l'autre de changer son regard sur les personnes handicapées qu'il rencontrera maintenant. Par la grâce de Dieu, j'ai également entrepris de me battre contre mes douleurs malheureusement concomitantes à mon handicap. Je vais subir une grosse opération vendredi du genou, et malgré la douleur et les difficultés qui vont suivre l'intervention, je suis dans la paix. J'ai la grâce d'avoir des amis avec qui prier, qui me soutiennent et sont présents dans ces moments.
Ainsi, aujourd'hui, je peux dire que grâce à mon tempérament et à travers mon handicap, j'ai appris à me battre, à surpasser les difficultés de la vie, toujours par ma foi, et par les frères et sœurs rencontrés sur ma route, qui m'ont aidée à me donner véritablement : non pas par une façade superficielle de moi-même, mais à travers les talents, les vulnérabilités, les vraies joies et les peines qui ouvrent à une véritable amitié.