Une mission fondée sur la foi

Kelly Suter, infirmière et membre de Regnum Christi, applique ses connaissances médicales et témoigne de sa foi là où peu de personnes n’osent s’aventurer

Depuis toujours, Kelly Suter a servi les autres. Après ses études secondaires elle a passé deux ans dans une mission humanitaire en tant que collaboratrice du Mouvement. Récemment Kelly a travaillé pour une mission dans une clinique pour malades atteints de la fièvre Ebola en Afrique. Dans ce cadre, elle a été interviewée dans l’émission américaine « 60 minutes » et son témoignage publié dans une revue médicale. Pendant une période de repos avec sa famille dans l’état du Michigan, elle a répondu à une interview de Jim Fair, directeur de communication de Regnum Christi aux États-Unis.

Pourquoi avez-vous décidé d’être infirmière ?

Depuis toute petite, ma maman nous a toujours encouragés à regarder le monde qui nous entoure et particulièrement les personnes. Je me souviens avoir donné mes jouets pour des enfants pauvres, avoir préparé des colis de Noël pour des enfants d’Afrique, avoir rendu visite dans des maisons de retraite, avoir ramassé en automne les feuilles dans les jardins de personnes âgées. C’étaient les principes éducatifs de ma mère, puis ils sont devenus ma façon de vivre librement choisie. Après avoir terminé mes études secondaires, j’ai donné deux ans de ma vie en tant que collaboratrice de Regnum Christi. J’aimais bien les missions humanitaires, mais je voulais faire plus, acquérir une formation pratique et devenir indépendante financièrement. J’ai ainsi décidé de devenir infirmière.

Une infirmière peut servir n’importe où. Pourquoi choisir une mission aussi dangereuse que soigner les malades d’Ebola ?

J’ai beaucoup reçu dans ma vie. Dieu m’a donné une famille qui m’a toujours soutenue ; j’ai reçu une bonne éducation, ma foi, une maison et de quoi me nourrir. Quel sens donner à tout cela si je ne décide pas de les faire fructifier ? Quel sens auraient eu tous les efforts de ma famille, mes professeurs et mes amis qui m’ont soutenue et guidée ? Oui, une infirmière peut aider n’importe où, mais toutes les infirmières n’ont pas vocation à aider partout. J’ai reçu le don d’accomplir ce genre de mission, la question est donc de savoir si j’accepte ou non ce défi. Je ne recherche pas le travail le plus dangereux possible, mais je suis disposée à aider les malades qui en ont besoin, là où d’autres pourraient avoir peur d’aller.

Qu’est-ce qui vous motive à travailler dans un camp missionnaire ?

Je suis l’aînée de 6, et il m’est naturel de m’occuper des autres. Cette motivation s’est renforcée lorsque mon plus jeune frère est né trisomique. J’avais 7-8 ans et ne voyais pas ce que voyaient les autres enfants de mon âge. Au premier regard, j’ai immédiatement aimé mon petit frère. J’ai perçu la beauté dans son « imperfection » bien avant de comprendre que j’étais censée remarquer un défaut. Très vite cependant j’ai dû apprendre que tout le monde ne pouvait pas voir ce que moi-même je discernais. J’avais huit ans la première fois que j’ai dû défendre mon petit frère à cause de ses handicaps et, bien que déterminée, je mourrais de peur d’avoir à me confronter à un adulte. Ce fut la première fois que je voyais un être humain juger qu’une autre vie avait moins de valeur et je décidai que jamais je ne serais ainsi.

Bien des années plus tard, j’ai compris les raisons pour lesquelles j’étais peinée quand d’autres méprisaient mon petit frère. Je savais que chaque vie était créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. C’est pourquoi toute vie est sans prix, digne, méritant compassion et respect. Cette détermination dès mon plus jeune âge s’est transformée en compréhension, foi et conviction. Mon travail en mission me motive précisément pour cette raison : combattre cette perte d’identité et de valeur. Non seulement les gens ne reconnaissent pas la valeur de la vie des autres, mais ils ne prennent pas conscience de l’importance et du prix de leur propre vie.  Mon travail me permet de procurer un peu d’humanité au monde, d’offrir de la dignité à ceux qui sont contraints de vivre comme des animaux, de la compassion à ceux qui subissent des épreuves inimaginables et apporter de l’espérance à ceux qui ont même oublié leur propre dignité.

Racontez-nous deux ou trois moments importants de vos missions

Il y en a beaucoup que je n’oublierai jamais. Les plus marquants de tous sont ceux qui m’ont ouvert les yeux pour mieux comprendre le monde qui m’entoure et moi-même.

La première expérience s’est passée lors de ma première mission médicale. C’était en chirurgie au Mexique et j’étais responsable de l’unité préopératoire, postopératoire et réveil des patients masculins. J’étais très nerveuse, car j’étais à peine diplômée. Je me souviens d’un patient en particulier. C’était une personne d’un certain âge, qui avait attendu de nombreuses années pour être opérée d’une hernie. Je devais le préparer pour son intervention et ensuite je l’accompagnais pendant qu’il attendait son tour. Pendant ce temps il me répétait : « Vous êtes un ange que Dieu m’a envoyé ». D’abord j’ai ri, puis à la deuxième ou troisième fois, je me suis sentie gênée. A la quatrième ou cinquième fois, j’étais contrariée. J’étais surchargée de travail. Il fut opéré puis il revint dans la chambre pour la surveillance post-opératoire. Une fois les effets de l’anesthésie dissipés, il me rappela pour me répéter la même chose, et finalement je commençais à le réprimander de m’appeler ainsi et d’interrompre notre travail. Je lui demandais de me pincer la peau et je lui expliquais : « Vous voyez, les anges n’ont pas de peau et je ne porte pas d’auréole non plus ?» Il me répondit alors : « Oui, tu es un être humain, mais cela ne veut pas dire que tu n’es pas l’ange que Dieu m’a envoyé ».

Ceci m’a rappelé ce que j’avais déjà entendu, que nous devions être les mains et les pieds de Dieu, mais jusqu’à ce moment-là je ne l’avais pas réalisé. C’est alors que j’ai compris que j’étais comme un ange pour ce patient. Mon « oui » à Dieu lui permettait d’œuvrer à travers moi et j’étais peut-être la réponse aux prières de cette personne. Je me suis alors rendu compte, pour la première fois, de ce que Dieu parvient à faire si nous coopérons avec lui.

La deuxième expérience eut lieu lors d’une mission d’urgence de trois mois que nous avons réalisée à Haïti, après le tremblement de terre de 2010. C’est la première fois que je voyais tant de morts et de ravages, et apprendre à lutter contre cela a été difficile émotionnellement. Après presque un mois à Haïti, j’ai reçu une leçon importante et très douloureuse. Un jour, à la consultation vint une femme qui allait accoucher pour la première fois. Elle en était seulement à sa 25e semaine de grossesse et attendait des jumeaux. Elle commençait à ressentir les premières douleurs. Nous avons fait tout ce que nous avons pu. Le premier bébé apparut, c’était un garçon, et le second était une fille. Comme nous n’avions pas d’unité de soins infantiles sur place, les bébés furent immédiatement confiés à leurs parents. Le garçon mourut une demi-heure après dans les bras de son papa. La fille luttait encore. Au bout de deux heures, la maman et le papa quittèrent l’hôpital, incapables de voir mourir leur petite fille. J’ai pris le bébé dans mes bras et pendant deux heures je lui ai parlé, j’ai chanté, je l’ai bercé. J’ai été frappée de voir comme son souffle diminuait et comme son petit cœur peinait à battre, jusqu’à ce qu’elle meure.

J’appelais le petit garçon Joseph et la petite fille Jean, en l’honneur de mes grands-parents. Après avoir rempli les actes de naissance, j’ai dû m’occuper des actes de décès, et emporter les bébés à la morgue. J’étais complètement bouleversée. J’avais déjà vu mourir des personnes, mais le décès de ces nourrissons était les plus éprouvants - je pleurais. Le sentiment de culpabilité de ne pas pouvoir leur donner une chance de survivre me déchirait. J’ai soudainement pris conscience de quelque chose d’essentiel : mon rôle à Haïti n’était pas seulement de sauver des vies. Ce n’était pas à moi de décider de la vie ou de la mort, mais d’être présente, avec la volonté d’aider celui qui en avait besoin. Pour beaucoup, le travail que j’accomplissais était comme une deuxième chance que je leur offrais pour aller de l’avant ; pour d’autres, ma main servait d’appui pour soutenir la main du moribond, mon épaule a été le réconfort de bien des larmes de ceux qui pleuraient la perte d’un être cher. Il est évident que je n’ai pas pu sauver la vie des jumeaux, mais j’étais là pour m’assurer qu’ils ne meurent pas dans la solitude et sans amour. Le sentiment de culpabilité s’est ainsi dissipé et j’étais désormais capable d’avancer, malgré tant de souffrance et de mort.

Quel lien entre votre foi catholique et votre travail ?

Ma foi me caractérise tout autant que mes préférences et mes aversions, la couleur de mes yeux ou la carrière que j’ai choisie. Beaucoup de personnes séparent la foi des autres aspects de leur vie et de leur personne. Même si parfois cela paraît difficile, je choisis ne pas avoir une vie cloisonnée. Je veux que ma foi fasse partie de ma carrière et ma carrière de ma foi. Avec chaque séjour humanitaire je deviens plus convaincue de la valeur de chaque vie humaine. Plus j’assiste des personnes que certains considèrent comme inférieures à la condition humaine ou « jetables », plus cette conviction et ma foi sont fortifiées. Ainsi, plus ma foi et mes convictions sont fortes, plus je suis motivée en tant qu’infirmière.

Quel impact  Regnum Christi a-t-il eu dans votre vie ?

Nous savons tous que Regnum Christi a rencontré des problèmes ces dernières années. Je fais partie de ce Mouvement depuis l’école primaire. J’ai donné deux ans en tant que collaboratrice. J’ai vu le bon et le mauvais. Je n’ai pas la capacité ou le désir de tirer un trait sur les événements douloureux qui ont eu lieu, et je n’ai pas non plus la capacité de retirer les bienfaits que Dieu a donnés au mouvement Regnum Christi. Grâce à lui, j’ai pu participer à bien des missions humanitaires, j’ai forgé des amitiés durables, j’y ai rencontré des personnes que je tiens en grande estime. Grâce au Mouvement, j’ai appris à rencontrer Dieu dans la joie et dans la souffrance, et j’ai commencé à comprendre que je suis unique et que mon rôle dans ce monde est donc unique. Bien que je doive le développement de la plus grande partie de ma personnalité à ma famille, je sais que Regnum Christi a soutenu cette évolution de nombreuses façons. Par conséquent, il a participé et participe encore à la formation de ma personnalité.

Dans l’avenir, accomplirez-vous d’autres missions ?

Oui, il y aura d’autres missions médicales. Pour le lieu et le moment, je verrai cela avec le temps. Je prends quelques mois de repos puis j’y réfléchirai. L’aide médicale d’urgence ne peut se planifier, en deux mois bien des choses peuvent se passer. (…) La vie se déroule rarement comme on l’a prévue mais les solutions les plus inattendues sont souvent les meilleures. Aujourd’hui j’ai la chance, le luxe, d’aller à tout moment où l’on a besoin de moi, et je suis prête à laisser la Providence me conduire où elle le souhaitera.

 

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