En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Il est inévitable que surviennent des scandales, des occasions de chute ; mais malheureux celui par qui cela arrive ! Il vaut mieux qu’on lui attache au cou une meule en pierre et qu’on le précipite à la mer, plutôt qu’il ne soit une occasion de chute pour un seul des petits que voilà.
Prenez garde à vous-mêmes ! Si ton frère a commis un péché, fais-lui de vifs reproches, et, s’il se repent, pardonne-lui. Même si sept fois par jour il commet un péché contre toi, et que sept fois de suite il revienne à toi en disant : “Je me repens”, tu lui pardonneras. »
Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi. »
Aujourd’hui, nous proposons à nos lecteurs une version plus approfondie de la méditation. Vous trouverez plusieurs réflexions de cette référence évangélique dans le format habituel sur http://www.regnumchristi.fr/meditations/st-luc/17.
Ô Sacré-Cœur de Jésus, doux et humble de cœur, tu es triste devant notre misère ! En péchant, nous devenons une occasion de chute pour nos frères et sœurs. Leur chute arrive aussi si nous les laissons tomber dans le péché ; pire encore, leur chute perdure si nous ne leur permettons pas de se relever dans le pardon. Le péché rend pauvre, captif, aveugle, opprimé. En revanche, l’amour ne réjouit pas dans le péché d’autrui : l’amour corrige le pécheur, veut le guérir. L’amour n’est pas indifférent aux intérêts de Dieu, comme la joie chrétienne n’est pas solitaire. Sans cette foi, tu vois que nous n’aurons aucun moyen pour déraciner le mal de nos vies. Nous voici devant toi : misérables ! Je sais que je suis pauvre sans ta grâce, captif de mes mauvais penchants, aveugle aux opportunités d’aimer, opprimé par le mal – le sauveur de personne ! Mes frères et sœurs souffrent de la même condition ! Aies pitié de nous ! Sauve notre joie avec ta tristesse, ta Miséricorde !
1. Le contexte : « Augmente en nous la foi ! ». Il est trop facile d’avoir une fausse conception de l’Évangile par superficialité : par exemple, espérer que la Bonne Nouvelle soit une joie toute simple, quand elle représente aussi une tristesse profonde. Pour un chrétien, comme pour le Christ, moissonner dans la joie veut dire tout d’abord semer dans les larmes (cf. Ps 125, 5). Nous sommes maintenant devant un Jésus dont la tristesse se transforme presque en colère. Nous regardons le même visage du Sauveur qu’autrefois nous a révélé une joie magnanime : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction. Il m’a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, et aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » (Toujours de l’Évangile de saint Luc : 4, 18-19)
Oui : l’annonce de cette « Année de la Miséricorde » est pleine de joie ! Mais quelle sorte de joie ? La tristesse qu’il y a des pauvres. La tristesse qu’il y a des captifs. La tristesse qu’il y a des aveugles. La tristesse qu’il y a des opprimés. La tristesse que, sans la grâce d’une « année favorable », c’est fichu ! C’est-à-dire, la joie de l’espérance, la joie des guérisons anticipées : ce qui n’est pas la joie des conversions achevées, fruit de l’amour, de la miséricorde de Dieu assimilée et transmise. En fait, la joie de l’annonce de l’année de miséricorde fut déjà précédée par sa tristesse cholérique : « Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche ! » (Mt 4, 17). Le dernier Jugement condamnera le péché, et le pécheur avec, tandis que la grâce de la miséricorde veut créer un monde nouveau pour les innocenter dans la justice et l’amour : la seule entrée à la Béatitude. Ce qui veut dire qu’au fur et mesure que cette « année favorable » se termine, la grâce de la miséricorde devient impatiente : c’est-à-dire que la joie de l’espérance qui aspirait devenir la joie de l’amour – son fruit anticipé – risque de devenir la colère d’un châtiment sans repentir, si elle n’a pas trouvé une réciprocité de cœur : autrement dit, si l’espérance de cet amour gratuit se voit frustré, en échec… Voir que nous sentons de nouveau l’avertissement « Convertissez-vous ! » dans le ton de voix sérieux de Jésus aujourd’hui. Malheur aux « chrétiens » endurcis ! La « joie » de n’avoir pas sentie la tristesse du Christ ne durera pas longtemps ! Malheur à vous, elle n’est pas un sentiment évangélique ! Quelle « mauvaise vieillesse » pour tout cœur de pierre qui refuse de se briser ! La miséricorde seule peut nous sauver : une tristesse salutaire est nécessaire pour entrer en possession de l’Évangile. Et tout chrétien, comme le Christ, corrigera le pécheur qui risque sa ruine sans cette contrition !
2. Composition de lieu : « Il est inévitable que surviennent des scandales, des occasions de chute ; mais malheureux celui par qui cela arrive ! » Le malheur du Christ est que sa miséricorde deviendra scandaleuse : il sera lui-même le premier à être une occasion de chute (cf. Lc 2, 34). Il pratique ce qu’il prêche, à l’extrême des extrêmes. S’il nous bénit par son enseignement, c’est parce qu’il accepte d’être maudit à cause de chaque personne qui ne met pas son enseignement en pratique : il sera crucifié comme fruit de sa miséricorde ; il recevra le châtiment de tout péché sur lui. Il aura donc l’autorité de condamner ceux qui n’ont pas éprouvé sa tristesse en se repentant de leurs péchés, quand il nous montrera finalement son visage douloureux. Nous pouvons donc ainsi imaginer la scène du pécheur précipité dans la mer avec une pierre meulière autour du cou ; Jésus parle du pécheur comme de lui-même : le monde est une meule de pierre, dont le mont du Calvaire est le sommet. Cette meule, le Calvaire, est attachée au cou de Jésus par la Croix, qu’il a portée hors de la Ville sainte, aux yeux d’une humanité en naufrage devant Dieu à cause du péché. Le poids du péché plonge ses victimes dans la mer. La mer est l’image de la mort, dont la mort est le fruit du péché. Le Fils de Dieu, ce petit que voilà, sera « perdu » pour nous sauver du péché, en prenant sur lui le châtiment : « Car Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais obtienne la vie éternelle. » (Jn 3, 16). C’est un geste réconciliateur, si cette lumière est reçue dans la foi avec un cœur brisé, en reconnaissant que Jésus a pris la place que nous méritions : « Et le Jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Celui qui fait le mal déteste la lumière : il ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dénoncées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soit manifeste que ses œuvres ont été accomplies en union avec Dieu. » (Jn 3, 19-21)
3. Méditation : « Prenez garde à vous-mêmes ! » Comment pourrons-nous imiter l’exemple du Christ ? « Si ton frère a commis un péché, fais-lui de vifs reproches, et, s’il se repent, pardonne-lui. » Jésus mets en pratique une œuvre de miséricorde : corriger les pécheurs. Il nous corrige ; il nous commande de corriger les autres. La miséricorde blâme le pécheur. Néanmoins, la miséricorde patiente pour ne pas le condamner : la miséricorde pardonne à chaque fois qu’il y a du repentir. Le pécheur se condamnera soi-même s’il ne s’approche pas de la charité qui se soucie de l’illuminer, pour qu’il puisse sauver l’œuvre de sa vie dans la grâce. La correction fraternelle en union avec Dieu rétablit la communion entre les hommes. Cette conviction vient de la foi : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit à l’arbre que voici : “Déracine-toi et va te planter dans la mer”, et il vous aurait obéi. » Une foi qui exige de la Passion !