En ce temps-là, comme Jésus avait expulsé un démon, certains dirent : « C’est par Béelzéboul, le chef des démons, qu’il expulse les démons. » D’autres, pour le mettre à l’épreuve, cherchaient à obtenir de lui un signe venant du ciel. Jésus, connaissant leurs pensées, leur dit : « Tout royaume divisé contre lui-même devient désert, ses maisons s’écroulent les unes sur les autres. Si Satan, lui aussi, est divisé contre lui-même, comment son royaume tiendra-t-il ? Vous dites en effet que c’est par Béelzéboul que j’expulse les démons. Mais si c’est par Béelzéboul que moi, je les expulse, vos disciples, par qui les expulsent-ils ? Dès lors, ils seront eux-mêmes vos juges. En revanche, si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le règne de Dieu est venu jusqu’à vous. Quand l’homme fort, et bien armé, garde son palais, tout ce qui lui appartient est en sécurité. Mais si un plus fort survient et triomphe de lui, il lui enlève son armement auquel il se fiait, et il distribue tout ce dont il l’a dépouillé. Celui qui n’est pas avec moi est contre moi ; celui qui ne rassemble pas avec moi disperse. Quand l’esprit impur est sorti de l’homme, il parcourt des lieux arides en cherchant où se reposer. Et il ne trouve pas. Alors il se dit : “Je vais retourner dans ma maison, d’où je suis sorti.” En arrivant, il la trouve balayée et bien rangée. Alors il s’en va, et il prend d’autres esprits encore plus mauvais que lui, au nombre de sept ; ils entrent et s’y installent. Ainsi, l’état de cet homme-là est pire à la fin qu’au début. »
« Celui qui n’est pas avec moi est contre moi ; celui qui ne rassemble pas avec moi disperse » : Seigneur Jésus, si tes paroles m’ont donné le premier don de l’Esprit Saint, la crainte de Dieu – je voudrais donc la grâce d’être et de rassembler « avec toi » et pas contre toi, perdu dans la dispersion. Tu es plus fort que moi ; tes paroles balayent et rangent mon âme ; néanmoins, dans mon dépouillement après ta conquête, et malgré la reconnaissance de ta force supérieure, je risque finalement de n’être pas habiter par ton Esprit – ce qui serait ma perdition. Sauve-moi donc dans ta Miséricorde !
1. La preuve : un signe venant de la terre. Avant de méditer l’enseignement du Christ à son auditoire « en connaissant leurs pensées », il faut noter le contexte schismatique que saint Luc nous présente : les uns, « croyants », attribuent le pouvoir de Jésus de faire le bien, notamment l’expulsion d’un démon, à Satan, « Béelzéboul », le principe du mal ; les autres, « sceptiques », demandent un signe « du ciel », comme si un miracle de l’ordre « invisible » serait plus « empirique » que l’exorcisme qu’ils viennent de témoigner et qui vient de dépasser visiblement les lois de la physique, de la psychologie, ou de la volonté humaine sur les êtres. Voilà Jésus, considéré par ses ennemis, soit comme un homme-diable, soit comme un magicien, donc mauvais ou incroyable, dont un diable n’est que « quelqu’un qui disperse » (« diabolos » en grec), et dont les merveilles d’un magicien ne sont pourtant pas dignes de foi. Voire scandale !
2. Le « signe de contradiction » (cf. Lc 2, 34), ce n’est qu’un signe de l’unité à l’épreuve. En fait, Jésus, Fils de Dieu, est le principe d’unité par excellence : la « pierre angulaire » (cf. Ps 117, 22). Néanmoins, son exemple d’autorité devient « scandaleux », une « pierre d’achoppement » (Is 8, 14) pour toute personne qui refuse d’admettre l’évidence : « si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le règne de Dieu est venu jusqu’à vous ». Voilà comment Jésus se présente comme le Roi, c’est-à-dire le « christos », l’ « Oint de Dieu » (Is 61, 1), celui qui possède l’Esprit de Dieu et ses sept dons parmi nous. Son enseignement, accompagné par son exemple, nous appelle à l’obéissance de la foi. Qui donc aura l’autorité de l’appeler « ennemi » de Dieu (« Satan » en hébreu), comme disent certains ? Ou bien, qui a l’autorité de l’obliger à faire encore un signe de force, quand toute personne qui reconnaît son identité ou autorité doit, à l’évidence, l’adorer et l’obéir ? Pour sa part, saint Jean l’évangéliste va définir les ennemis du Christ : « Voici comment vous reconnaîtrez l’Esprit de Dieu : tout esprit qui proclame que Jésus Christ est venu dans la chair, celui-là est de Dieu. Tout esprit qui refuse de proclamer Jésus, celui-là n’est pas de Dieu : c’est l’esprit de l’anti-Christ, dont on vous a annoncé la venue et qui, dès maintenant, est déjà dans le monde » (1Jn 4, 2-3). Sa divinité habite son humanité, sa chair. Ce qui étonne et provoque la foi ce sont, en fait, ces signes « venants de la terre », visibles et miséricordieux : Jésus chasse les démons « venant du ciel » parce que « tombés par terre » dans leur rébellion ; Jésus veut faire taire les langues menteuses des esprits humains rebelles, aveuglés et aveuglants qui les ressemblent, auxquels il démontre son autorité en vérité et charité.
3. La pureté impure. Il ne suffit pas de posséder des vérités pour être habité par la charité : « Il faut croire en Dieu qui peut faire des signes de sa puissance », « Satan, l’ennemi de Dieu, existe », par exemple. Nous devenons les ennemis de Dieu le moment où la volonté refuse de croire l’évidence de la charité d’autrui à l’œuvre : que la grâce divine habite réellement la chair humaine. La charité, les bonnes œuvres invitent à la communion, à la reconnaissance de l’image et de la ressemblance de Dieu dans les personnes qui agissent ainsi. Jésus ne cherche pas à entrer des « maisons propres » comme « des sépulcres blanchis à la chaux : à l’extérieur ils ont une belle apparence, mais l’intérieur est rempli d’ossements et de toutes sortes de choses impures » (Mt 23, 27) ; Jésus cherche des cœurs humains de chair où son Esprit peut habiter pour toujours : sa Vérité, sa Charité – sa pureté les rendra pures s’ils adhèrent à lui, justifiés par l’obéissance de leur foi, en apprenant à aimer beaucoup comme lui.