En ce temps-là, Jésus, levant les yeux sur ses disciples, déclara :
« Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, car vous serez rassasiés. Heureux, vous qui pleurez maintenant, car vous rirez. Heureux êtes-vous quand les hommes vous haïssent et vous excluent, quand ils insultent et rejettent votre nom comme méprisable, à cause du Fils de l’homme. Ce jour-là, réjouissez-vous, tressaillez de joie, car alors votre récompense est grande dans le ciel ; c’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les prophètes.
Mais quel malheur pour vous, les riches, car vous avez votre consolation ! Quel malheur pour vous qui êtes repus maintenant, car vous aurez faim ! Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! C’est ainsi, en effet, que leurs pères traitaient les faux prophètes. »
Seigneur Jésus, Fils Prodigue qui a gaspillé ton héritage céleste sur terre, que nous échangions malheur pour malheur, bonheur pour bonheur : ta grâce pour mon péché, ta miséricorde pour mon cœur de pierre.
1. Spiritualité et humanité. Malgré le conseil de sainte Thérèse d’Avila, « Que rien ne te trouble, que rien ne t'épouvante, tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout ; celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit (…) », ce n’est pas la spiritualité vécue par notre Dieu-Esprit (cf. Jn 4, 24) face à la misère humaine. Malgré sa patience éternelle d’être si inchangeable dans la possession de soi-même, il était « malheureux » dans sa propre richesse : « Dieu seul suffit ». Il y avait quelque chose d’épouvantable à la Sainte Trinité de devoir trouver la paix dans le Bien suprême, son Être autosuffisant : Il a voulu partager son existence, son bien, son amour avec les autres. C’est peut-être parce que notre Dieu-Esprit ne se justifiait pas devant lui-même avec sa spiritualité, mais il fut de toujours prêt à se gaspiller gratuitement par l’humanité : il a donc voulu créé l’homme et la femme à son image, à l’image de Dieu, c’est-à-dire à la Sainte Trinité, selon leur ressemblance (cf. Gn 1, 26). Ainsi les Personnes divines se sont « troublées » de créer l’univers et de nous sauver, injustes et pécheurs que nous sommes devenus, en restaurant notre humanité avec leur Miséricorde. Ainsi Dieu a mérité les noms « Créateur » et « Sauveur » au début du temps de son « auto-insuffisance » choisie, un amour prêt à renoncer à son propre bien et à pâtir des autres. S’il suffit donc pour nous, pauvres créatures, de vivre de ce Dieu-Amour (cf. 1Jn 4, 8) pour obtenir la paix, parce qu’Il est la source de notre vie et guérison, néanmoins il n’est pas possible de vivre de « Dieu seul » comme une « spiritualité » sans assumer et restaurer l’ « humanité » voulue par Dieu. L’une des erreurs du schisme protestant, par exemple, fut de séparer la foi et les œuvres, ou bien, le bonheur supposé de l’individu de celui du prochain avec lequel on partage la seule nature humaine qui vient de Dieu (cf. Jc 2, 12-20) et l’appel à la communion des saints dans la Sainte Trinité (cf. Jn 14, 23-26).
2. Humanité et misère. Pendant l’histoire, toutes les écoles philosophiques nous ont offert des idéaux d’ « humanité » et des propositions de « bonheur ». Néanmoins, il y a déjà un sens commun par rapport à la nature humaine, la possession d’un bien aimé produit la « joie », tandis que son absence produit la « tristesse ». Pour sa part Jésus, nouvel Adam, incarne l’Image de Dieu dans son humanité avec toute la sensibilité de son « cœur de chair » (Ez 36, 26) capable d’aimer et de souffrir à la mesure de l’homme parfait. Malgré cela, dans sa miséricorde Jésus bouleverse toute conception d’une joie mondaine séparée de l’amour de Dieu et du prochain : par exemple l’argent, la nourriture, la joie, la louange – des biens relatifs conçus comme des fins et pas comme des moyens. Mais ne serait-ce pas possible de considérer ces bénédictions comme un don de Dieu, preuve que « Dieu seul suffit » comme pour le prêtre Calvin, c’est-à-dire le signe de prédestination de ses élus pour que nous puissions nous en réjouir sans scrupule ? La joie n’est-elle pas le signe d’un chrétien accompli, où le chrétien mérite d’être loué à cause de sa réussite dans l’histoire, c’est-à-dire un sujet de la Providence, un « béni de Dieu » ? « Quel malheur pour vous qui riez maintenant, car vous serez dans le deuil et vous pleurerez ! Quel malheur pour vous lorsque tous les hommes disent du bien de vous ! » Pour Dieu il ne suffit pas de réjouir dans le don de Dieu sans reconnaître et de vivre l’appel de se donner aux autres, c’est-à-dire d’être un être provident et miséricordieux comme lui.
3. Prospérité et miséricorde. « Dieu seul suffit » ne suffit donc pas comme « spiritualité » si on n’est pas saisi par compassion devant la misère d’autrui quand le prochain manque des biens qui correspondent à notre humanité. L’argent sert pour l’aumône (« Heureux, vous les pauvres, car le royaume de Dieu est à vous »), la nourriture pour l’affamé (« car vous serez rassasiés »), la joie pour créer l’amitié avec celui qui souffre la solitude (« car vous rirez »), la louange pour diriger la gloire vers Dieu-avec-nous, la Miséricorde parmi les hommes dans chaque personne sainte (« car alors votre récompense est grande dans le ciel »).
Le Père fut prêt à gaspiller son Fils, quand Jésus laissa son « ciel » pour nous inviter à son Banquet : où dans leur Esprit la Communion des saints suffira !